Le manga, miroir de la société
Le manga japonais est un phénomène mondial qui a pris son essor après la Seconde Guerre mondiale. Véritable miroir de la société japonaise, les mangas traitent de sujets variés comme la vie à l’école, celle de l’entreprise, d’amour bien sûr mais aussi d’épouvante et beaucoup de sport. Olive et Tom ou Captain Tsubasa en VO, Slam Dunk ou Prince du tennis, comptent parmi les mangas de sport qui ont acquis une renommée mondiale, bouleversant l’imaginaire de plusieurs générations et créant des vocations chez les athlètes comme Zinedine Zidane, Kei Nishikori ou le basketteur Rui Hachimura. À l’occasion des Jeux Olympiques, et au moment de se pencher sur la culture du pays hôte, c’est donc presque naturellement que Le Musée Olympique a décidé de s’intéresser à cet aspect caractéristique de la pop culture japonaise.
A la Croisée des Jeux, le podcast qui rapproche sport et culture, en explorant l’influence des Jeux Olympiques sur vous, sur nous, sur nos imaginaires et dans la société, réalisé par Le Musée Olympique.
Pour ce tout premier podcast qui lance la Série A la Croisée des Jeux, Théo, en charge des événements au Musée Olympique accueille Stéphane Beaujean, commissaire de l’exposition Sport X Manga, pour nous parler de l’évolution des mangas de sport et de leur ancrage profond dans la société japonaise.
Stéphane Beaujean :
Commissaire de l’exposition Sport X Manga, au Musée Olympique du 18 mars au 21 novembre 2021. Mais encore….
Titulaire d’un DEA de littérature comparée, Stéphane Beaujean occupe le poste d’enseignant vacataire en méthodologie et en FLE pour le bureau des relations internationales de l’Université Paris XIII de 2002 à 2008. Gérant de la librairie d’occasion Aaapoum Bapoum à Paris, Stéphane Beaujean est journaliste et critique de bande dessinée pour Les Inrockuptibles, la revue de cinéma Trois Couleurs et Chronicart. Il prend la rédaction en chef du bi-mestriel KaBoom édité par Benoit Maurer. Il est également co-directeur artistique du Festival International de la Bande Dessinée (FIBD) d’Angoulême de 2016 à 2020 et devient, en mai 2020, Directeur éditorial aux Editions Dupuis.
#1, Stéphane Beaujean : Manga de sport et société japonaise (1/2)
Le manga comme vecteur de valeurs
Stéphane Beaujean nous explique pourquoi le manga de sport est le genre roi au Japon et comment le sport utilise le manga pour véhiculer ses valeurs et essayer de séduire de nouveaux praticiens avec le baseball dans un premier temps et les arts martiaux dans un second temps.
En effet, le manga de sport est à l’origine créé pour populariser le sport dans les magazines sportifs et offrir aux fans de baseball un aparté. Dès mars 1947, Le Shōnen Magazine publie les premiers mangas pour enfants sur le baseball, dont Batto-kun. La vocation du manga d’après-guerre est principalement de sensibiliser les Japonais, sous occupation américaine, aux valeurs américaines, d’où le rôle central du baseball à cette époque. C’est donc par écho que la dimension culturelle va filtrer beaucoup plus dans les mangas de sport que dans les autres mangas d’aventure.
On voit ensuite apparaître les mangas d’art martiaux avec Igaguri-kun. Ils témoignent de la résurgence des arts martiaux dans les années 1950, après avoir été interdits par l’occupant américain. C’est ainsi que le judo revient en grâce auprès des enfants sous un jour plus positif et plus sportif.
Le début des hebdomadaires
En mars 1959 sortent les deux premiers hebdomadaires de manga qui signent la naissance d’un nouveau modèle économique et éditorial qui connaîtra bientôt un succès sans équivalent. Des sportifs se retrouvent en couverture, le sumotori ASASHIO III Tarō ou le joueur de baseball NAGASHIMA Shigeo des Giants. Les pages intérieures proposent des analyses sur le baseball et le sumo et, bien sûr, des chapitres de manga. C’est ainsi que le manga de baseball, Kyojin no hoshi devient l’œuvre d’une génération et contribue à faire du Shōnen Magazine le premier magazine à passer la barre du million d’exemplaires.
A écouter Stéphane Beaujean, on comprend comment cette émergence se joue entre le sport qui véhicule des valeurs et le manga qui veut parler du sport.
Le supokon
Dans les années 60, se cristallise un nouvel imaginaire qui consolide un genre de plus en plus singulier : le supokon. Ce nouveau genre de manga de sport remet au goût du jour les valeurs des récits de jeunesse d’avant-guerre flattant des valeurs typiquement japonaises comme l’abnégation et le dépassement de soi. Ce regain d’identité est relaté par le sport mais aussi par le manga avec Kyojin no hoshi et Ashita no Joe.
Stéphane Beaujean nous rappelle donc comment le manga de sport est un miroir de la société japonaise en illustrant les soubresauts de la pensée japonaise dans son rapport à l’Occident, dans son rapport à la discipline, dans son rapport à certaines valeurs traditionnelles parfois ressuscitées, parfois reniées, parfois mises sous une chappe par l’occupant américain.
L’impact des Jeux de Tokyo 1964
Les JO de Tokyo 1964 influencent les Japonais et révolutionnent le manga de sport pour les dix années à suivre. Stéphane Beaujean nous en explique la raison :
La victoire en finale de l’équipe féminine de volleyball, les Toyo mo majo (les sorcières de l’Orient) déclenche une fascination des Japonais pour le volley-ball. Immédiatement les magazines féminins lancent leur série de volleyball féminin avec le manga Attack no1 qui bouscule les codes de la représentation du corps féminin. Cette répercutions influence aussi tous les autres mangas de romance qui sont centrés sur les représentations féminines.
JO Tokyo 1964, Manche finale, Japon (JPN) 1e – URSS (URS) 2e. © 1964 / CIO
Le second évènement clé est la défaite en finale du judo du Japonais Akio Kaminaga contre le Néerlandais Antonius Geesink. Cette défaite du Japon sur son sol, dans sa discipline la plus ancestrale et la plus identitaire est un électrochoc ressuscitant de douloureux souvenirs liés aux préjugés racistes qui prévalent durant l’occupation américaine.
JO Tokyo 1964, Finale de judo, Antonius GEESINK (NED) 1e contre Akio KAMINAGA (JPN) 2e. © 1964 / CIO
La revanche s’exprime par l’apparition de mangas qui traitent de sports étrangers et dans lesquels vont exceller les héros de mangas : citons Ashita no Joe, enfant des rues pratiquant la boxe anglaise et qui réussira à gravir l’échelle sociale grâce à ses poings.
Pour Stéphane Beaujean, c’est à partir de ce moment-là que commence un dialogue extrêmement vertueux et de plus en plus fort et complexe entre la présence des sports dans la société japonaise et le manga.
Animation VS manga
L’animation s’enquille derrière la création du manga. Lorsqu’au début des années 60, Osamu Tezuka crée son premier studio d’animation, il mise sur une adaptation télévisée avec un système d’animation qui existe déjà aux Etats-Unis. Il est influencé par Les Pierrafeu qui compte peu d’images par seconde et trouve une résonnance dans la culture japonaise dont le mouvement arrêté fait partie intégrale du mouvement.
Ce cinéma d’animation va immédiatement populariser le manga et impliquer des marques et des sponsors. Se crée alors un mariage vertueux entre le sport, la télévision, le manga et les déclinaisons des dessins animés.
L’étoile des Géants, Kyojin no hoshi, adapté en animation, devient un énorme hit, et les ventes de manga prennent l’ascenseur. La série animée, en plus de faire vendre du manga, rend le baseball encore plus populaire.
Le manga comme imaginaire social et politique
Dans les années 60, le manga Ashita no Joe parle aux étudiants et leur permet de réfléchir à leurs aspirations politiques. C’est à ce moment, nous raconte Stéphane Beaujean, que la société japonaise, les éditeurs et les mangakas prennent conscience que le manga touche aussi les adultes et surtout qu’il participe désormais de l’imaginaire social et politique de toute une société.
Découvrez dans notre épisode #2 la suite de cette fabuleuse histoire du manga de sport, racontée par notre spécialiste, Stéphane Beaujean.
L’exposition gratuite Sport X Manga est présentée au Musée Olympique jusqu’au 21 novembre 2021.
Pour en savoir plus : https://olympics.com/musee/visiter/agenda/celebrez-tokyo-2020
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