Le manga, d’un phénomène national à un phénomène planétaire
Dans un Japon en reconstruction, le manga s’est imposé en quelques décennies comme un objet culturel roi, accompagnant des mouvements sociétaux de grandes envergures et véhiculant des idées d’abnégation et de dépassement de soi.
A la Croisée des Jeux, le podcast qui rapproche sport et culture, en explorant l’influence des Jeux Olympiques sur vous, sur nous, sur nos imaginaires et dans la société, réalisé par Le Musée Olympique.
Après un premier épisode passé à explorer les débuts du manga de sport, Théo, en charge des événements au Musée Olympique, poursuit sa discussion en compagnie de Stéphane Beaujean, commissaire de l’exposition Sport X Manga. Dans ce second épisode, nous allons découvrir comment le manga de sport est passé d’un phénomène national à un phénomène planétaire, utilisé jusque dans la communication des Jeux Olympiques de Tokyo 2020.
Stéphane Beaujean :
Commissaire de l’exposition Sport X Manga, au Musée Olympique du 18 mars au 21 novembre 2021. Mais encore….
Titulaire d’un DEA de littérature comparée, Stéphane Beaujean occupe le poste d’enseignant vacataire en méthodologie et en FLE pour le bureau des relations internationales de l’Université Paris XIII de 2002 à 2008. Gérant de la librairie d’occasion Aaapoum Bapoum à Paris, Stéphane Beaujean est journaliste et critique de bande dessinée pour Les Inrockuptibles, la revue de cinéma Trois Couleurs et Chronicart. Il prend la rédaction en chef du bi-mestriel KaBoom édité par Benoit Maurer. Il est également co-directeur artistique du Festival International de la Bande Dessinée (FIBD) d’Angoulême de 2016 à 2020 et devient, en mai 2020, Directeur éditorial aux Editions Dupuis.
#2, Stéphane Beaujean: Manga de sport et Société japonaise (2/2)
La fin du supokon
Stéphane Beaujean nous décrit comment le supokon disparait peu à peu au profit d’un manga de sport dont les approches sur la discipline sportive diffèrent, certaines plus lumineuses et d’autres plus endurantes et volontaires.
C’est véritablement avec le manga Slam Dunk de Takehiko Inoue, à partir de 1990 que le genre du supokon disparait. C’est l’histoire d’un jeune voyou qui veut intégrer une équipe de basket. On y découvre une nouvelle approche du sport liée au plaisir mais surtout au dépassement de soi, non pas pour soi mais pour les autres. Il devient le manga de sport le plus vendu de l’histoire.
Contrairement au récit de Captain Tsubasa, Stéphane Beaujean nous explique pour quelles raisons, dans Slam Dunk, le mangaka s’en tient à un réalisme pur et dur en accompagnant son écriture d’un vrai travail de pédagogie. Le récit surdécoupe l’action pour suivre et comprendre comment sont disposés les joueurs sur le terrain et tous les gestes techniques. Le dernier album de Slam Dunk retrace sur 200 pages environ trois minutes de temps réel ! Avec un climax de tensions hallucinant.
Captian Tsubasa et l’essor mondial du manga de sport
En 1980, avec Olive et Tom, ou Captain Tsubasa, Yōichi Takahashi décide de faire un manga sur le football alors que ce sport est pratiquement inconnu au Japon. Afin de s’assurer le succès, son éditeur lui conseille de faire des choses exceptionnelles et à chaque chapitre. Et commence ce manga avec un gamin de 6 ans tirant des balles incroyables, roulant à toute vitesse depuis le haut des collines pour finir avec des actions complétement délirantes. Dix semaines après la première sortie, toutes les écoles du Japon tentent de créer un club de foot pour l’année suivante ! Ce manga fédère très rapidement tout un pays et lance une mode qui va faire passer le football quasiment au rang de sport no 1 du pays. Et Stéphane Beaujean de nous mettre en lumière comment la culture du football japonais s’est créée à partir de la bande dessinée.
Les coups spéciaux
Stéphane Beaujean retrace avec nous l’histoire des coups spéciaux qui deviennent l’apanage du manga de sport et apparaissent au début des années 50.
Au départ, la raison est purement technique car les mangakas doivent simplifier l’action sportive : le conflit s’incarne à travers deux leaders qui se distinguent par leurs actions extraordinaires souvent associées à des savoirs faire ninjas.
Dès les années 60, dans certains mangas, une balle peut rester trois minutes dans les airs avec un raffinement technique hallucinant qui fait rire les enfants.
Et dans les années 80, on arrive au moment où la magie du manga Les Chevaliers du Zodiaque et le manga de sport font bon ménage. Ce nouveau style s’exemplifie dans le manga Dragon Ball qui devient un titre majeur au moment de l’éclosion du manga en Europe, à la fin des années 1980.
Les enfants du monde entier découvrent que le sport peut aussi véhiculer un imaginaire digne des plus grandes fantaisies, qu’il offre, dans un environnement très quotidien, des ouvertures totalement surréalistes qui font vibrer.
C’est ainsi que l’association de l’imaginaire du récit de genre à l’imaginaire sportif devient unique. Captain Tsubasa, abordant le football selon une approche purement japonaise, lance la globalisation du manga et l’essor que l’on connait de nos jours.
La génération Club Dorothée
Pour Stéphane Beaujean, le manga peut être considéré comme une sorte de dérivatif pour la génération des années 70, tel que l’a été le rock and roll pour la génération précédente. A travers les animations d’Albator et Goldorak, cette génération découvre le héros japonais avec une approche de l’altérité dans un contexte de défiance de l’Occident au pic de la Guerre froide.
Le dialogue entre deux cultures
Le manga a permis à l’Occident de s’ouvrir au Japon mais il a surtout permis au Japon de s’ouvrir à l’Occident.
Alors que dans les années 90 le Japon est touché par une récession économique, Captain Tsubasa se rend en Occident pour participer aux grandes manifestations sportives et se focalise sur les médailles d’or aux JO. Plus tard il fera aussi partie du Barça, célèbre club de football espagnol. Le message diffusé par ce manga aux Japonais est que le rêve peut aussi se réaliser à l’étranger. Et il devient l’allégorie d’un dialogue qui va dans les deux sens.
Un dialogue réel avec le sport
Dans les années 80 une grande star de la bande dessinée, Naoki Urasawa préfigure le retour de la compétition féminine de judo en 1992 aux Jeux Olympiques de Barcelone avec Yawara!
Son personnage fictif s’entraîne afin de remporter une médaille d’or à Barcelone. Cette bande dessinée devient très vite populaire grâce à son adaptation en animation qui est regardée comme le compte à rebours avant les Jeux Olympiques. Le dialogue avec la réalité est encore accéléré.
En parallèle, la judokate Ryoko Tamura devient la chouchou du public japonais qui se fédère derrière elle. Elle devient l’incarnation réelle d’un personnage de fiction qui est censé raconter le retour en grâce des Japonais au judo aux Jeux Olympiques, mis à mal aux JO de 1964. Elle remporte la médaille d’argent en 1992 à Barcelone mais décroche enfin l’or en 2000 à Sydney et en 2004 à Athènes.
Ryoko Tani (Tamura) célèbre sa victoire en finale de judo dans la catégorie -48kg à Athènes en 2004 © 2004, Getty Images
Pour Stéphane Beaujean, c’est assez bouleversant de voir cette capacité du manga à anticiper des sujets progressistes, d’accompagner le peuple japonais dans un élan de reconquête d’identité vis à vis du judo, et enfin de s’incarner dans une personne physique. Cette héroïne, Yawara, devient l’un des témoins les plus fascinants de la façon dont le manga a su, très consciemment, construire un dialogue entre la réalité et le sport.
L’influence des JO de Tokyo 2020 sur le manga de sport
Aujourd’hui le Japon est principalement connu pour sa pop culture et comparé aux JO de 1964 le changement est édifiant. Sa modernité fonde la richesse culturelle du Japon d’aujourd’hui. La signification des JO est qu’il faut être fier aujourd’hui de sa pop culture et qu’elle a vocation à devenir le vecteur le plus important.
En 1982 déjà, Katsuhiro Ōtomo avec Akira préfigure les prochains Jeux Olympiques à Tokyo comme l’avènement d’une société japonaise qui allait exploser au lendemain. Mais pour Stéphane Beaujean, il est encore trop tôt pour parler de l’influence des Jeux Olympiques de Tokyo 2020 sur le manga de sport. Actuellement, le manga de sport s’empare de l’événement comme d’un projet encore en préparation. La compétition et les performances modèleront l’imaginaire du manga de demain.
L’une des grandes missions des JO de Tokyo 2020 est aussi la sensibilisation à l’handisport et les mangakas se sont fédérés pour sensibiliser le grand public à cette problématique. Comme par exemple le manga Running Girl de Narumi Shigematsu qui aborde le sujet de la perte d’un membre et de la reconstruction via le handisport.
C’est ainsi que nous terminons cette exploration fascinante sur le manga de sport si bien racontée par Stéphane Beaujean dans nos deux premiers podcasts qui lancent la série À la Croisée des Jeux.
L’exposition gratuite Sport X Manga est présentée au Musée Olympique jusqu’au 21 novembre 2021.
Pour en savoir plus : https://olympics.com/musee/visiter/agenda/celebrez-tokyo-2020
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