Les mangas de sport

Parole à leurs créateurs, les mangakas

L’exposition Sport X Manga au Musée Olympique, du 18 mars au 21 novembre 2021, explore le dialogue que le manga de sport n’a cessé d’entretenir avec les disciplines sportives et la société japonaise à partir de 1945 jusqu’à nos jours. Le sport, avec ses actions et son dynamisme, est une grande source d’inspiration pour les mangakas, dessinateurs de bandes dessinées japonaises.

Le Musée Olympique vous propose de découvrir trois célèbres mangakas (URASAWA Naoki : YAWARA!; CHIBA Tetsuya : Ashita no Joe ; Yoichi TAKAHASHI : Captain Tsubasa) et un éditeur de manga (SUZUKI Haruhiko). Une manière de plonger dans le processus intime de création d’un manga.
 

URASAWA Naoki ( 1960- )

URASAW Naoki est un mangaka tokyoïte, auteur de nombreux mangas dont Happy ! et 20th Century Boys. Son œuvre, actuellement publiée dans pas moins de vingt pays, lui a valu plusieurs prix nationaux et internationaux.


Mangaka | Naoki URASAWA © 2020, CIO

Avec YAWARA!, il crée une héroïne et un manga de sport différents, qui font écho à cette époque dorée de la bulle économique des années 1980. YAWARA Inokuma est une lycéenne. Son grand-père, légende vivante du judo, l’entraine depuis toute petite afin qu’elle remporte la médaille d’or aux Jeux Olympiques de 1992. Ce manga marque tellement les esprits que lorsque la judoka TANI Ryoko remporte la médaille d’argent aux Jeux de Barcelone, le public et les médias japonais lui attribuent le nom de l’héroïne de manga. URASAWA se souvient de cette époque :
« Lorsque YAWARA! est sorti, je voulais écrire des choses réalistes. Pas montrer un homme jeté en l’air contre un mur, mais les vraies techniques du judo. À l’époque, d’un point de vue social, il était important que le judo féminin devienne une épreuve olympique officielle. J’ai écrit YAWARA! en étudiant les règles, les techniques et même l’ambiance sur le site de compétition. J’ai entendu parler de TAMURA Ryoko pour la première fois lorsque, dans mon atelier, je regardais à la télévision les Championnats internationaux de judo à Fukuoka. Elle était là, à gagner les combats les uns après les autres. Ils criaient même YAWARA! YAWARA! et je me demandais ce qu’ils faisaient. »


Exposition Sport X Manga, YAWARA! © 2021, CIO / C. Leutenegger
 
L’affiche du programme Tokyo 2020 / Sport X Manga au Musée Olympique est réalisée par URASAWA Naoki. Il y concentre tous les codes du manga de sport japonais.


L’affiche du programme du Musée Olympique est réalisée par URASAWA Naoki. © 2021, CIO
 

« Le manga de sport est un genre particulièrement populaire dans le manga japonais. Ses œuvres sont pré-publiées dans des magazines hebdomadaires et les matches qui s’y déroulent suscitent une passion plus grande encore que pour le vrai sport. J’ai concentré dans cette affiche toutes les essences du manga de sport japonais. Dans la dernière case en bas à gauche, on peut y lire : « À suivre ! ». En effet, tel un véritable manga, c’est avec impatience que les lecteurs doivent attendre la suite pendant toute une semaine. » – URASAWA Naoki

URASAWA Naoki réalise aussi l’une des 20 affiches artistiques des JO de Tokyo 2020. Cette série d’affiches est emblématique de la diversité de genres et de styles de la culture japonaise. Et URASAWA, considéré comme l’un des artistes de manga le plus célèbre du Japon, en est le parfait ambassadeur.


Affiche d’art de Tokyo 2020, URASAWA Naoki, Now it’s your turn! © Tokyo 2020

URASAWA divise l’affiche en cases comme pour une planche de BD et y insère à nouveau le cartouche « À suivre ! » à l’image d’un véritable manga qui tient en haleine ses lecteurs.
Le samedi 12 juin 2021, pour les 24h J-Pop, une journée et une nuit autour de la culture manga et pop-culture japonaise au Musée, vous pourrez assister à une conférence en ligne avec le célèbre mangaka URASAWA Naoki !
 

TAKAHASHI Yoichi ( 1960 – )

Il préfère décliner son nom à la façon occidentale : Yoichi TAKAHASHI. Quoi qu’il en soit, c’est lui qui bouleverse le manga et le sport dans les années 1980 en créant Captain Tsubasa. Ce manga raconte le parcours de TSUBASA Oozora, un jeune prodige du football qui évolue de club en club, pour devenir une star mondiale.

Captain Tsubasa est le manga de sport le plus connu au monde. Non seulement il fait exploser la popularité du football au Japon, mais participe à faire connaître la culture du manga à l’étranger. Il connaît également un énorme succès hors du Japon et se vend à plus de 80 millions d’exemplaires.


Mangaka | Yoichi TAKAHASHI © 2020, CIO

TAKAHASHI revient sur le parcours hors norme d’un personnage dont les aventures se poursuivent aujourd’hui encore : Captain Tsubasa, plus connu sous le nom de Olive & Tom pour les francophones.

« A l’époque, le football n’était pas très populaire au Japon et nous n’avions pas de ligue professionnelle. Les matches en direct à la télévision n’étaient pas diffusés aussi souvent. Donc, quand j’ai lancé Captain Tsubasa, je ne savais pas si ça allait être un grand succès ou non. J’ai pensé que d’autres Japonais pourraient apprécier le football et j’ai donc essayé d’écrire un manga de football. »

Et TAKAHASHI de nous parler des recettes infaillibles pour gagner le cœur de ses lecteurs :
« Écrire les techniques existantes de façon plus vivante que réelle est l’une de mes méthodes. De plus, certaines sont inspirées par d’autres sports. Certaines techniques sont simplement celles utilisées réellement dans le football, comme la « bicyclette » ou le retourné acrobatique. J’ai mis tous mes espoirs dans mon manga. Je crois que mon manga a contribué à populariser le football au Japon en faisant découvrir ce sport aux enfants. Aujourd’hui, il est naturel que le Japon participe à la Coupe du monde. ».

L’exposition Sport X Manga, du 18 mars au 21 novembre 2021, au Musée Olympique, permet de vous mesurer à Captain Tsubasa en tentant de reproduire l’un de ses célèbres gestes : le Drive Shot !


© Yoichi Takahashi/SHUEISHA © 2021, CIO / C. Leutenegger
 

CHIBA Tetsuya (1939 – )

CHIBA Tetsuya, mangaka de renom, est principalement connu pour être l’auteur de l’un des chefs-d’œuvre du manga de sport,Ashita no Joe. Dans la seconde moitié des années 60, CHIBA Tetsuya et le scénariste KAJIWARA Ikki participent à l’émergence du supokon, le manga de sport où le héros fait preuve de détermination et n’abandonne jamais. Ils créent, sans le présager, un personnage qui incarne l’époque et parle aux jeunes adultes.


Mangaka | Tetsuya CHIBA © 2020, CIO

Yabuki Joe, 15 ans, est un enfant des rues qui va se retrouver en maison de correction. Là-bas, il y rencontre un boxeur professionnel du nom de Rikiishi Torû qui deviendra rapidement son rival et sa principale motivation pour devenir à son tour un véritable boxeur professionnel.

Retour sur les implications de CHIBA Tetsuya dans la création d’Ashita no Joe ou comment la fiction et la réalité se confondent parfois :
« Mon premier manga était sur le baseball. Ensuite, j’en suis venu à dessiner le monde de la boxe (Ashita no Joe). Quand j’étais fatigué, cela affectait immédiatement la représentation des muscles dans le dessin. Alors je me suis dit qu’il fallait que je maintienne ma condition physique. Quand le personnage perdait du poids, je perdais aussi du poids inconsciemment. Je faisais le lien avec ce que ressentait mon personnage, c’était donc un travail difficile pour moi. »

Le succès est fulgurant pour Ashita no Joe. À tel point qu’à la mort de Rikiishi, le rival de Joe, dans le tome 6, les lecteurs sont effondrés, et pour les calmer, la maison d’édition organise en son siège des funérailles pour ce héros de papier. CHIBA Tetsuya nous raconte :
« J’ai aussi dessiné Rikiishi qui perdait du poids et devenait de plus en plus mince. Dans mon esprit, sa mort était naturelle et je l’ai représenté de façon réaliste, mais les lecteurs ont été choqués. Quand j’ai assisté à ses funérailles (Rikiishi), j’ai vu des gens habillés en noir, tenant des fleurs et des cadeaux de condoléances. Des enfants comme des adultes pleuraient. J’ai été surpris car je ne pensais pas que les lecteurs avaient autant de sympathie pour des personnages de manga. Je n’ai pas changé ma façon de dessiner, mais j’ai pris davantage conscience de ce que je faisais. J’ai commencé à réfléchir plus sérieusement à l’effet que produisent mes mangas. Mais j’ai pris conscience que je pouvais parler de la vie, encourager les lecteurs et même leur donner l’envie de vivre. C’est devenu un travail plus gratifiant pour moi. »

Vers la fin des années 60, lorsqu’éclatent les révoltes estudiantines, le manga exerce une véritable influence sur les mentalités. Joe, le boxeur pauvre qui se bat pour s’extraire de sa condition sociale, devient l’étendard de certaines factions.
 

SUZUKI Haruhiko, éditeur chez Shueisha (1955 – )

SUZUKI Haruhiko est l’un des grands éditeurs du magazine Shōnen Jump, aux éditions Shueisha. Dans les années 1980, il accompagne entre autres le mangaka TAKAHASHI Yoichi sur la série Captain Tsubasa. À cette époque, les ventes du magazine décollent pour passer, en moins de 10 ans, de trois millions à cinq millions d’exemplaires (pour atteindre les six millions et demi en 1994).


Mangaka | Haruhiko SUZUKI © 2020, CIO

SUZUKI nous raconte l’âge d’or de la bande dessinée japonaise auquel il a largement participé :
« J’ai rejoint la maison d’édition Shueisha en 1978. J’étais responsable de Captain Tsubasa et j’ai été très heureux quand j’ai appris que ce manga était populaire dans d’autres pays. Je n’aurais jamais pu imaginer qu’une chose aussi merveilleuse puisse arriver quand j’ai commencé à travailler avec les mangas. Le sport le plus populaire au Japon a longtemps été le baseball. C’est pourquoi de nombreux artistes japonais ont créé des mangas de baseball. Puis, Captain Tsubasa est apparu et de nombreux enfants de l’école primaire ont commencé à jouer au football. Le football junior est devenu populaire. »

La construction narrative de Captain Tsubasa nous ramène à l’influence du célèbre mangaka TEZUKA Osamu qui posera la base du manga moderne à partir de 1945 : le vocabulaire cinématographique vient rapidement désigner des techniques narratives du manga moderne : champ, contre-champ, plongée, contre-plongée, etc. Comparé aux deux autres grandes traditions de bande dessinée, franco-belge et nord-américaine, le manga se démarque par son dynamisme.

Aujourd’hui l’action promotionnelle du manga est reconnue pour être parfois comparable aux retransmissions audiovisuelles ou aux articles de presse. De son côté, SUZUKI Haruhiko revient aussi sur l’influence du manga sur les pratiques sportives :

« Le sport a énormément contribué au manga. Le baseball, le judo, le kendo, le football, le basketball, le tennis, le golf, le cyclisme et le football américain. Il est difficile de trouver un sport qui n’a pas été représenté dans un manga. C’est dire à quel point les mangas ont utilisé le sport comme sujet. Mais les mangas ont aussi un effet sur les sports. Certains lecteurs sont influencés par un manga et se mettent à le pratiquer, ou bien un manga augmente le nombre de fans d’un athlète ou d’un sport. Les mangas sportifs contribuent donc aussi au sport. C’est une situation où tout le monde est gagnant, ce qui est formidable. »
 

Comprendre le sport et ses valeurs par le manga

Le manga de sport offre une fenêtre sur l’histoire du Japon de l’après-guerre à nos jours. Il influence la pratique du sport, inspire les jeunes, tout en se nourrissant de l’histoire des athlètes bien réels. Il constitue donc une source essentielle pour comprendre des aspects de la société japonaise à travers sa relation avec le sport.

Le talent des mangakas réside aussi dans la manière dont ils représentent le sport. L’action, le mouvement, le geste sportif se déploient selon un registre graphique d’une grande richesse, que le but recherché soit didactique ou spectaculaire. Le lexique visuel propre au manga se met au service du sport, le révèle de manière inédite. Véritable réservoir d’images, le manga de sport illustre la psychologie des personnages et les valeurs qui les animent. Il génère ainsi des héros qui s’inscrivent dans la mémoire collective, bien au-delà des frontières de l’archipel.

Pour en savoir encore plus, venez découvrir Sport X Manga au Musée Olympique, exposition gratuite jusqu’au 21 novembre 2021.