Georges Baumgartner

Tokyo et les Jeux Olympiques : histoire et défis (3/3)

Le sport au Japon

Entre le Japon et les Jeux Olympiques, c’est une vieille histoire qui débute avec un sport en particulier : le judo. C’est en effet par cet art martial que le Japon s’est fait connaître sur la scène sportive internationale. Ce lien fort entre le judo et les Jeux nous permet d’aborder, dans ce troisième épisode en compagnie de Georges Baumgartner, la question du sport au Japon et de son histoire.

Georges Baumgartner :


© 2020, G. Baumgartner

Résidant depuis 1982 au Japon, Georges Baumgartner est un spécialiste du pays. Journaliste et correspondant au Japon pour la Radio Télévision Suisse (RTS) jusqu’en 2012, puis président du prestigieux Club des correspondants étrangers au Japon de 2010 à 2013, il est connu notamment pour son inoubliable signature en fin de reportage : « Georges Baumgartner, Radio suisse romande, Tokyo ». Devenu une célébrité tant par son professionnalisme que ses formules emblématiques, Georges Baumgartner continue de vivre à Tokyo où il suit avec assiduité l’actualité de son pays d’adoption.
A l’occasion du 10e anniversaire du séisme de 2011 et des accidents nucléaires provoqués à Fukushima, la RTS fait appel à son ancien correspondant, retraité du service public, pour connaître ses analyses sur les répercussions de ces drames sur la société japonaise.

 

#5, Georges Baumgartner : Tokyo et les Jeux Olympiques : histoire et défis (3/3)
 

Naissance du concept de sport

Georges Baumgartner nous rappelle qu’avant la restauration de Meiji en 1868, il n’y a pas de mots pour désigner le sport au Japon. Pays d’arts martiaux et de guerriers samouraïs, le Japon sort de trois siècles d’isolement.

A la fin du shogunat Tokugawa, les guerriers samouraïs se convertissent dans l’enseignement des art martiaux basés sur le dévouement, des entraînements sans fin et une vie d’une extrême dureté afin de développer un esprit fort, un esprit de combat.

Georges Baumgartner nous décrit comment le Japon va s’ouvrir à d’autres sports : le baseball est introduit au Japon en 1872, les principes fondateurs du judo, forme moderne du ju-jitsu, sont posés par Jigoro Kano en 1882, alors que le rugby et le football arrivent à la fin du XIXe siècle.

Et c’est à ce moment seulement que le mot sport apparaît : supootsu. Alors qu’il est japonisé, son concept l’est tout autant : les sports étrangers sont pratiqués dans les universités où y sont intégrés les principes et l’esprit des arts martiaux.

 

Ouverture à la pratique sportive au Japon

Dans les années 1880, de nombreux ingénieurs et experts scientifiques arrivent au Japon pour contribuer à sa modernisation. Ces derniers vivent de préférence dans la ville portuaire de Yokohama. Le baseball, importé principalement des Etats-Unis, devient alors très vite un sport universitaire. Georges Baumgartner nous parle de cette première rencontre de baseball en 1890 entre l’équipe des expatriés de l’université de Yokohama et l’équipe japonaise. Les Japonais s’imposent 29 à 4 lors du premier match et 39 à 5 lors d’un second match ! L’analyse dans les médias met en exergue le fait que si le Japon peut battre l’Amérique dans son sport national, il le pourra aussi dans le domaine de l’économie, du commerce et de l’industrie. Ces deux matchs servent de symbole nationaliste fort durant tout le 20è siècle. Ces jeunes sportifs issus des meilleures universités transfèreront plus tard cet esprit des arts martiaux dans leur carrière professionnelle et au service des industries japonaises.

Le judo est, quant à lui, le premier art martial japonais à avoir obtenu une reconnaissance internationale lorsque qu’en 1909 son fondateur Jigoro Kano intègre le CIO pour devenir le premier membre asiatique de l’organisation. Le baron Pierre de Coubertin lui-même reconnait que la philosophie du judo, dont le nom signifie La Voie de la Sagesse, développe à la fois le corps et l’esprit, et correspond aux valeurs olympiques. Il ne sera ajouté au programme olympique qu’en 1964 aux Jeux Olympiques de Tokyo.


Portrait de Jigoro KANO membre du CIO (JPN) de 1909 à 1938 © 1906 / CIO
 

L’éducation dans le sport

Georges Baumgartner poursuit en racontant que les Japonais n’apprennent pas seulement une technique mais surtout à devenir une meilleure personne à travers la discipline issue des arts martiaux dont les principes de bases sont des entraînements sans fin, le développement de l’esprit et l’harmonie au sein de l’équipe avec au bout comme corollaire un déficit d’individualité. Ces valeurs se reflètent aussi dans la vie des individus.

Dans les années de reconstruction de l’après-guerre, l’esprit du « konjō » (courage ou ne jamais abandonner) est glorifié par les médias et va donner lieu à un nouveau genre dans la bande dessinée japonaise. Ces mangas de sport, supokon, véhiculent désormais une image singulière du corps des jeunes athlètes soumis à des entraînement et à des matchs intenses. Ces épreuves sont censées consolider l’esprit d’équipe, l’abnégation et le dépassement de soi. Ce regain d’identité est relaté dans des mangas comme Kyojin no hoshi et Ashita no Joe.

Georges Baumgartner nous décrit d’ailleurs les footballeurs japonais, au risque de caricaturer, comme réticents à tirer au but car beaucoup plus enclins à faire des passes aux autres membres de l’équipe que de se mettre en avant par un geste trop individuel. Et de noter que cette mentalité se retrouve dans les entreprises japonaises à travers ce proverbe « Le clou qui dépasse doit être enfoncé ».

 

Relation maître – élève

La relation entre maître et élève et par extension entre entraîneur et joueur est une relation fondamentale de la société japonaise. L’entraineur, souvent considéré comme un dieu, insiste sur la discipline et croit que seul un entrainement sans fin peut mener à l’unité de l’esprit et du corps. Parfois ces méthodes ont dû faire face à de nombreuses critiques, notamment dans le monde du judo. Georges Baumgartner relate le fait qu’aujourd’hui les jeunes Japonais et leurs parents sont moins enclins à taire cette violence.

 

Le film officiel de Tokyo 1964



Diverses affiches du film officiel « Tokyo Olympiades » réalisé par Kon Ichikawa © CIO

Georges Baumgartner revient sur le film officiel des JO de Tokyo 1964 réalisé par Kon Ichikawa « Tokyo orinpikku ». Il décrit ce documentaire comme un poème sur le sport, exaltant la beauté de l’effort de sportifs amateurs et ordinaires tous égaux dans la grandeur du dépassement de soi. Le film d’Ichikawa démystifie l’aspect compétitif du sport en montrant l’effort physique mais en exaltant l’émotion décelée sur les visages des athlètes. On y découvre aussi la ville de Tokyo à travers les images du marathon remporté par l’Ethiopien Abebe Bikila. L’image poétique de l’intérieur du stade vide vient clore le film officiel des Jeux de Tokyo 1964.


Abebe BIKILA (ETH) 1e pendant la course du marathon © 1964 / Allsport

Avec cet épisode, nous concluons notre série avec Georges Baumgartner consacrée aux Jeux de Tokyo, au sport au Japon et à son importance dans la société japonaise.

L’exposition gratuite Tokyo 2020 est présentée au Musée Olympique jusqu’au 21 novembre 2021.

Pour en savoir plus : https://olympics.com/musee/visiter/agenda/celebrez-tokyo-2020

 

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